L’obésité, une maladie complexe : en finir avec la stigmatisation

Par Audrey Chavana
Le

L’obésité ne se résume pas à « manger moins, bouger plus ». Elle est génétique, environnementale (psychologique, sociale, culturelle, médicamenteuse, économique, politique) et comportementale. Les régimes hypocaloriques et la grossophobie peuvent engendrer des Troubles des Conduites Alimentaires et nuisent à la santé physique, mentale et sociale. Les préjugés ignorent la complexité de notre métabolisme et aggrave l'obésité.

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J’entends trop souvent de la part même de professionnels de santé non/mal formés : 

- "Mais c’est pour son bien que je lui dis de faire attention" ; 
- "S’il/elle est déjà gros(se) et en plus il/elle mange du chocolat, des chips… il ne faut pas s’étonner" ; 
- "Il faudra que vous perdiez au moins 10kg" ;
- "Mangez moins, mieux et bougez plus" ; 
- "Va falloir faire un régime" ; 
- "C’est les féculents le problème, vous en mangez trop" ;
- "C'est mauvais la gourmandise pour la santé" ;
- "Arrêtez d'acheter toutes vos cochonneries, prenez des fruits à la place" ;
- "Lorsque vous prenez un dessert, compensez derrière en mangeant moins" ;
- "Je ne comprends pas que l'on puisses en arriver là" ;
...

L’obésité est d’origine multi-factorielle :
Facteurs génétiques / épigénétiques

Notre poids d’équilibre nous est définit par notre tissu adipeux : le nombre de cellules graisseuses.
Ce nombre peut augmenter lorsque par exemple on prend beaucoup de poids, notamment après un régime hypocalorique en inéquation vis à vis de nos réels besoins.
Notre tissu adipeux est câblé avec notre cerveau pour notre survie énergétique et va tout mettre en œuvre pour conserver ce poids d’équilibre où qu’il soit : dans la norme, en dessous ou au dessus.
N'hésitez pas à aller voir mon article plus complet sur le sujet : qu'est-ce que le poids d'équilibre

Notre personnalité se dessine selon notre environnement, nos expériences de vie en ayant comme base notre tempérament qui lui semble en partie déterminé par nos gènes. Nous pouvons avoir un tempérament plus ou moins impulsif et notamment face à l'alimentation.  
À ne pas confondre avec l'impulsivité, celle qui est liée à un trouble du réconfort et/ou une dette énergétique sur de la restriction cognitive* le plus souvent. Où dans ce cas-là, une fois le comportement alimentaire régulé, la dette renflouée, il n'y a plus cette impulsivité qui était là pour qu'on puisse répondre, combler nos besoins énergétiques et/ou émotionnels.
*La restriction cognitive correspond à l’intention de contrôler son alimentation et/ou son corps dans le but de maigrir ou de maintenir son poids.

Facteurs environnementaux

L’alimentation ne sert pas seulement à réguler nos besoins nutritionnels et énergétiques. 
Elle sert aussi à réguler nos émotions. Aussi elle est prédominante dans nos liens sociaux et culturels. On aime se retrouver autour d’une table garnie de plats réconfortants avec des personnes qu’on apprécie.

Enfant on ne nous a peut être pas permis d’exprimer nos émotions et ressentis. Adulte, on peut garder des difficultés à réguler nos émotions selon notre parcours de vie. 

On peut vivre des traumatismes aigus / chroniques pouvant jusqu’à ébranler notre identité, dépassant nos capacités d’intégration tels qu’un viol par exemple, pouvant générer un stress post-traumatique et survenant parfois à un âge précoce où le développement du cerveau est encore immature soit plus vulnérable.
Le stress post-traumatique peut atténuer notre intéroception soit notre capacité à ressentir nos signaux tels que la faim, la satiété, nos envies de manger. Ou encore on peut chercher à anesthésier via l’alimentation des douleurs psychologiques vis à vis de notre corps pour lequel on peut ressentir de la honte par exemple. Il est important de se faire aider par un(e) psychologue spécialisé(e) dans les traumas. Également d'être suivi(e) par un(e)diététicien(ne) spécialisé(e) dans le comportement alimentaire afin de réguler son comportement alimentaire en considérant la régulation émotionnelle nécessaire via l'alimentation.
N'hésitez pas à aller voir mon article plus complet sur le sujet : Mieux comprendre et gérer ses émotions pour réduire les comportements alimentaires compensatoires.

Nous pouvons être amené à prendre des médicaments augmentant nos envies de manger tels que les neuroleptiques, cortisone, pilules contraceptives… Lors d'une prise de poids engendrée par un médicament, il est important d'en parler à votre médecin qui vous l'a prescrit. Il pourra regarder s'il est possible de changer de molécules. Autrement, orientez-vous vers un(e) diététicien(ne) spécialisé(e) dans le comportement alimentaire qui pourra vous aider à réguler votre comportement alimentaire en considérant les envies de manger augmentées.

Notre société, marquée par le capitalisme et la recherche effrénée de productivité, génère des inégalités sociales et économiques, sources de souffrances et de violences. 
La charge mentale, souvent écrasante, s’accumule : gestion familiale, pression professionnelle, besoins personnels, vie sociale, problèmes de santé… Autant de facteurs qui peuvent pousser à ne pas prendre le temps nécessaire pour manger, à manquer de sommeil et à chercher du réconfort dans l’alimentation. Cette souffrance "ordinaire" est même malheureusement normalisée afin de rester productifs face à nos responsabilités sans pointer les réels problématiques. Face à ses problématiques collectives, on préfère reporter la faute sur les individus. Ainsi, ceux qui génèrent de la souffrance peuvent continuer sans être inquiétés. La souffrance est normalisée par nos politiciens. On le voit également avec la culture du viol où nos enfants ne sont pas suffisamment protégés.

L’industrie agroalimentaire exploite nos vulnérabilités psychologiques et économiques, inondant le marché de produits tels que les sodas, toujours plus accessibles et attractifs. Par exemple, dans certains pays, les sodas coûtent moins chers que l’eau potable et sont mis en avant à chaque coin de rue, dans les publicités, les placements en magasin ou même les menus des restaurants.

L'industrie pharmaceutique vend des compléments alimentaires soit disant pour notre santé qui en plus d'être inefficaces, sont dangereux pour notre santé et coûtent souvent assez chers. Certaines personnes mal-informées prônent en ciblant des aliments détox / drainants. Or il n'y a pas de solutions, produits, aliments "miracles". Nous avons des organes qui ont pour rôle de nous détoxifier notamment le foie et les reins.

Hélas la culture des régimes rapportent énormément de profits au détriment de notre santé physique, mentale et sociale. Cette culture nous pousse à toujours plus nous contrôler, à entamer un énième régime : le rééquilibrage alimentaire, le régime cétogène, le jeûne intermittent... On nous fait croire que ce ne sont pas des régimes néfastes mais même bénéfiques à notre santé. Lorsque les personnes qui se situent en dehors de la norme, se sentent presque menacées de se mettre au régime sous toutes les injonctions grossophobes. Également, on peut être amené(e) a se méfier au point de ne plus vouloir consulter un professionnel de santé, à s'isoler avec ses problématiques, au vu de la grossophobie dans le milieu médical.

Réguler le trop plein émotionnel via l'alimentation c'est normal. Lutter ne fait qu'aggraver. Apprendre à réguler son comportement alimentaire auprès d'un(e) diététicien(ne) est nécessaire avec l'accompagnement d'un(e) psychologue formé(e) aux traumas.

Facteurs comportementaux

De nombreux comportements délétères nous emprisonnent dans des cercles vicieux où notre cerveau se laisse biaiser par des croyances engendrées souvent par de la désinformation massive.

Un exemple très fréquent :
Entamer un rééquilibrage alimentaire hypocalorique pour maigrir. On se met un objectif de poids à perdre et où ce qui importe c’est l’activité physique et le contenu de l’assiette en catégorisant les aliments bons / mauvais.

On ne comprend pas pourquoi malgré que l'on juge que ce soit équilibré et peu restrictif que notre cerveau reste très attiré par les aliments gras / sucrés que l’on s’interdit ou que l'on se limite énormément où la culpabilité prend souvent le dessus.

Malheureusement, on finit tôt ou tard par craquer, le célèbre foutu pour foutu notamment lors d’évènement de vie banal et/ou important : voyage, soirée, grossesse, ménopause, séparation... La culpabilité est immense au point de reprendre son rééquilibrage alimentaire, ainsi de suite. 

Ce cercle vicieux :
N'hésitez pas à aller voir mon article : cercle vicieux de la restriction cognitive et des régimes.

Pour conclure,
Le surpoids / obésité est bien plus complexe que « mangez moins, mieux et bougez plus ». Être mieux informé(e) permet de lutter contre la grossophobie qui se doit d’être une lutte collective au vu des dégâts importants auxquels il est urgent d’agir. 

Il est important de se faire accompagner par des professionnels de santé dûment formés : diététicien(ne), médecins, psychologues spécialisé(e)s dans le comportement alimentaire lorsqu’on en ressent le besoin.

Être gros(se) ne veut pas dire être en mauvaise santé métabolique. C'est d'être au dessus de son poids d'équilibre, que l'on risque de développer de l'insulino-resistance et à terme un diabète de type 2. Soit on peut être dans la norme, cependant être au dessus de son poids d'équilibre et développer un diabète de type 2.

Lutter contre la grossophobie est un acte collectif et politique, n'hésitez pas à signer cette pétition, initiée par Harmony ALBERTINI, afin de reconnaitre la grossophobie dans la loi française.
https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-3867?utm_source=ig&utm_medium=social&utm_content=link_in_bio

Bibliographie :
Pour aller plus loin :

https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC6813623
/
2019 Oct 17;10:750. doi: 10.3389/fpsyt.2019.00750
"Childhood trauma affects stress-related interoceptive accuracy" (Les traumatismes infantiles affectent l'exactitude intéroceptive liée au stress)
Violetta K Schaan 1,*, André Schulz 1, Julian A Rubel 2, Michael Bernstein 3, Gregor Domes 4, Hartmut Schächinger 5, Claus Vögele 1

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29927688/
2019 Jan 4:70:703-718.
doi: 10.1146/annurev-psych-010418-102936.  Epub 2018 Jun 21. 
"Stress and obesity" (Stress et obésité)
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"Relationship between trauma history and eating disorders in adolescents" (relation entre les traumatismes et les troubles de la nourriture chez les adolescents)
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Child maltreatment and disordered eating in adulthood : a mediating rôle of PTSD and self-esteem ? (La maltraitance des enfants et l'alimentation désordonnée à l'âge adulte : un rôle médiateur du Trouble de Stress Post-Traumatique et de l'estime de soi ?)
Wolf, N. M., Elklit, A. (2018).
Journal of child and adolescent trama, 13(1), 21-32.

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https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/2022-quand-on-te-fait-du-mal_ponti-memoire-traumatique-hdweb.pdf
Livret "Quand on te fait du mal "
Le livret pédagogique de prévention et d'information sur les violences et leurs conséquences, de 28 pages, « Quand on te fait du mal » écrit par Dre Muriel Salmona et Sokhna Fall, adapté et illustré par Claude Ponti, est destiné aux jeunes enfant et aux plus vulnérables.

https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/fiche-page-a-page-pour-Quand-on-te-fait-du-mal.pdf
Cette fiche d’utilisation pratique du livret page à page écrite par Sokhna Fall et la Dre Muriel SALMONA complète le guide d'information à l'attention des adultes qui accompagne le livret. Vous y trouverez des conseils et des commentaires pour utiliser le livret, ainsi que des conduites à tenir en cas de révélation par un enfant de faits de violence.

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38563692/
Erin D Clarcke, Jordan Stanford, Maria Gomez-Martin, Clare E Collins. Revisiting the impact of Health at Every Size® interventions on health and cardiometabolic related outcomes: An updated systematic review with meta-analysis. 2024 avr. 2. doi: 10.1111/1747-0080.12869.